Au cœur du pays de Friesland, dans le village de Faken, vivait un boulanger du nom de Fouke. C’était un homme vertueux, s’il en est, au corps maigre et élancé, au visage acéré pourvu d’un menton en saillie et d’un long nez effilé. Si grande était sa vertu qu’elle semblait se répandre de ses lèvres pincées sur tous ceux qui osaient s’approcher de lui. Bien naturellement, les habitants de Faken préféraient l’éviter.

Hilda, sa femme, était de petite taille et rondelette; ses bras, sa poitrine, son arrière-train, tout chez elle était en rondeurs. Ses valeurs morales ne faisaient pas fuir les gens ; au contraire, la bonhomie de son physique semblait les inviter à se rapprocher d’elle afin de partager la chaleur de son cœur si affable.

Hilda respectait et aimait son mari autant que ce dernier le lui permettait, cependant sa nature l’inclinait à attendre davantage de sa part qu’une affection d’ordre purement moral. C’est là, dans le repli secret de ses aspirations frustrées, que sommeillait quelque morosité.

Après une nuit passée depuis le crépuscule à pétrir son pain, Fouke, en rentrant chez lui de bon matin, surprit un étranger dans sa chambre, qui semblait apprécier les rondeurs de son épouse.

Très vite, l’aventure d’Hilda fit le tour des tavernes et causa scandale dans la communauté de Faken. Étant donné la rigueur morale de Fouke, tout le monde s’attendait à le voir répudier sa femme. À la surprise générale, il n’en fut rien, mais celui-ci fit savoir qu’en accord avec les enseignements du Livre saint, il lui accordait son pardon.

Cependant, au tréfonds de son cœur, Fouke ne pouvait pardonner à Hilda de lui avoir causé une telle honte. Chaque fois qu’il se prenait à penser à elle, il éprouvait de la colère et du ressentiment; il la méprisait comme il l’eût fait d’une vulgaire prostituée. Pour tout dire, il la haïssait pour l’avoir trahi, lui qui s’était toujours montré mari fidèle et irréprochable.

Sa magnanimité n’était que façade, une façon d’accabler Hilda par le moyen de sa vertu.

Mais au ciel, nul n’était dupe de la supercherie.

Aussi, chaque fois qu’il donnait libre cours à sa haine secrète envers Hilda, un ange s’approchait de son cœur et y laissait tomber un petit caillou pas plus gros qu’un bouton de chemise. À chaque fois qu’un caillou tombait, Fouke éprouvait une douleur aiguë comparable à celle qu’il avait ressentie le jour où il avait surpris sa femme en quête d’un peu de réconfort dans les bras d’un étranger.

Alors sa haine pour Hilda grandissait, et sa haine le faisait souffrir, et plus il souffrait, plus il la haïssait.

Donc les cailloux s’accumulaient. Le cœur de Fouke, rompu sous le poids de cet amoncellement, se faisait de plus en plus pesant. Si pesant que la moitié supérieure de son corps finit par se courber vers l’avant et qu’il lui devenait impossible de regarder droit devant lui sans tendre douloureusement son cou vers le haut. Las de tant de souffrances, Fouke se mit à souhaiter la mort.

Une nuit, l’ange qui avait pour tâche de déposer ces cailloux dans son cœur, lui apparut pour lui donner ce conseil :

— Il existe un remède, le seul qui puisse guérir une telle blessure du cœur : c’est le pouvoir miraculeux des yeux magiques !

Voilà ce qu’il fallait à Fouke, revenir à l’origine de sa blessure et, avec de nouveaux yeux, voir son Hilda, non point sous les traits d’une épouse infidèle, mais sous les traits d’un être faible qui avait besoin de lui. Seule une nouvelle façon de voir les choses à travers les yeux magiques pourrait mettre fin à la douleur que nourrissaient encore les traumatismes du passé.

— On ne peut pas revenir en arrière, protesta-t-il, ce qui est fait est fait. Hilda est coupable et même un ange ne peut rien y changer ! 

— Certes, mon pauvre homme affligé, répondit l’ange, on ne peut changer le passé, on ne peut que guérir la douleur qui provient du passé. Et la seule façon d’y parvenir, c’est grâce aux yeux magiques.

— Et comment les obtenir, tes yeux magiques ? grommela Fouke.

— Il te suffit de demander, et si tu les désires vraiment, tu les recevras. Alors chaque fois que tu regarderas Hilda de tes yeux tout neufs, un caillou sera retiré de ton cœur endolori. 

Fouke ne put demander sur-le-champ, car, triste à dire, il en était venu à aimer sa haine. Cependant la souffrance était telle qu’il finit par désirer les yeux magiques promis par l’ange et se résolut à en faire la demande. Et l’ange lui accorda sa requête.

Comme par enchantement, Hilda commença à changer aux yeux de Fouke. Il se mit à la voir, non plus comme la femme perverse qui l’avait trahi, mais comme une faible créature qui l’aimait.

L’ange tint parole : un à un, il ôta les cailloux de son cœur. Bien sûr, il fallut du temps, tellement il y en avait. Mais petit à petit, Fouke sentit son cœur s’alléger. Il put se redresser pour marcher et, étrangement, même son nez et son menton semblèrent perdre un peu de leur tranchant. De nouveau, il accueillit Hilda dans son cœur, et elle vint s’y réfugier. Et tous deux entamèrent une nouvelle ère de leur vie, sous le signe de la joie et de l’humilité.

— Lewis B. Smedes

 

 

Je mettrai en eux un esprit nouveau, J’ôterai de leur être leur cœur dur comme la pierre, et Je leur donnerai un cœur de chair. 

    Ézéchiel 11:19

 

-- Rien ne peut affermir davantage une âme humaine que d’oser pardonner.

 

-- Vous possédez un avantage extraordinaire sur la personne qui vous diffame ou se montre injuste à votre égard : vous détenez le pouvoir de lui accorder votre pardon.

 

-- La première étape du pardon, c’est de soi-même demander pardon.

 

-- Quiconque ne peut pardonner détruit le pont sur lequel il devra lui-même passer, car nous avons tous besoin d’être pardonnés.

 

Certains gravent les fautes d’autrui dans le marbre…

Mai Lui, si bon, si aimable,

Se baissant doucement,

Les marquait dans le sable.

(Lire Jean 8:3-11)

 

Nous devrions faire preuve de douceur, de bienveillance et de miséricorde envers les autres, comme nous en avons nous-mêmes besoin. Nous devrions traiter les autres dans leurs erreurs comme nous souhaitons que le Seigneur nous traite dans les nôtres ! Nous devrions pardonner à ceux qui nous ont fait du tort, demander pardon à ceux que nous avons offensés, et les ramener par la main dans le cercle de notre amour et de notre amitié.

Puissions-nous tous être plus humbles, plus patients, plus aimants, plus miséricordieux et indulgents les uns envers les autres. Et, en toute sincérité, puissions-nous prier : “ Pardonne-nous nos péchés, car nous pardonnons nous-mêmes à ceux qui ont des torts envers nous ” (Luc 11:4).  —David Brandt Berg